Les surprises de la terre promise

Publié le par Etonnants Voyageurs

Que l'on fuie son pays ou que l'on parte pour échapper à la pauvreté, l'émigration s'accompagne généralement de son lot de tristesse, de solitude et de nostalgie du pays abandonné. Pourtant de belles surprises peuvent naître de ces errances en terre promise. C'est la vision positive de l'exil qu'ont retenu quatre écrivains, réunis cet après midi sur le plateau du Café Littéraire. 
Colombien, Santiago Gamboa était un jeune étudiant en lettres lorsqu'il est arrivé à Paris dans les années 1990. Son dernier roman, Le syndrome d'Ulysse (Anne Marie Métailié) relate sur un ton jouissif et réjouissant ses aventures parisiennes de jeune émigré pauvre, vivant de la plonge dans un restaurant coréen, côtoyant d'autres émigrés. "Sur les vingt quatre heures que compte une journée, malgré les difficultés à s'intégrer et le mal du pays, il y a des gestes, des rencontres qui créent des moments de joie", explique le romancier. Dans leurs moments de solitude, les jeunes émigrés désespérés mais vivants se raccrochent à ce qui unit les humains : la sexualité et l'amitié. La rencontre de l'autre. La recherche de la chaleur humaine.

Et sous l'angle de la rencontre Rose Tremain a choisi, elle, de raconter l'arrivée d'un jeune homme de l'Est en Grande Bretagne dans Retour au pays (Plon). S'inspirant d'une histoire vue à la télévision, marquée par l'image de cet homme qui avait tout quitté et se retrouvait à vivre "sous la rue", dans les réserves à charbon que Rose Tremain avait connues enfant. Lev, qui désormais ne subira plus son destin. Même sa relation avec son meilleur ami, qui est le plus fort des deux va s'inverser. Avec ce roman, Rose Tremain, romancière maintes fois primée, offre le portrait d'un beau personnage, innocent mais déterminé. 

La Grande Bretagne était aussi la destination de Xiaolu Guo, lorsqu'elle a quitté la Chine il y a cinq ans. La découverte de la vie occidentale a métamorphosé sa personnalité. Lorsqu'elle arrive à Londres, Xiaolu Guo prononce à peine quelques mots d'anglais. La barrière de la langue, une difficulté au quotidien, devient prétexte à écrire ses aventures, sur un ton drôle, subtil et original. "J'ai décidé que le problème linguistique pourrait être la clé de mon écriture", explique la jolie écrivain dans un anglais maintenant parfait. Son roman Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants (Buchet Chastel) débute avec un vocabulaire très simple et se complexifie à mesure que le personnage se développe et maîtrise de mieux en mieux l'anglais. A travers la langue, c'est le passage de l'adolescence à l'âge adulte et la prise de conscience de son identité chinoise très forte qui s'opèrent. 
De son personnage largement autobiographique elle dit : "A partir du moment où elle parle très bien, elle perd sa vie ; elle parle parfaitement l'anglais mais ne peut pas conquérir le pays, c'est le problème du déplacement d'un pays à l'autre". Pourtant l'anglais lui a permis aussi de goûter à la liberté : liberté dans l'expression et liberté d'aborder des sujets tabous en Chine : "il y a beaucoup de choses que je n'aurais pas pu écrire en restant en Chine, comme les sujets abordant le sexe ou la politique". 

Une Chine répressive dans laquelle il était défendu de voyager à l'étranger, et où, même à l'intérieur, les Chinois devaient obtenir une autorisation afin de se déplacer dans le pays. " Les Chinois ne se connaissaient pas", explique la romancière Xin Ran. Journaliste pour la radio de Nankin, elle animait une émission nocturne et recueillait les confidences des femmes sur leur vie quotidienne. "Je ne comprenais pas les filles de la campagne, ce n'est qu'en arrivant à Londres que j'ai pu les comprendre". La journaliste a quitté la Chine en 1997, fatiguée de vivre dans un pays répressif et impuissante de ce fait à aider des femmes en souffrance. Sa première heure dans la capitale britannique va la bouleverser complètement. Au chauffeur de taxi, elle dit :
- "Bonjour, je vais à Hallow Road.
- Bonjour, où allez vous ?
- A Hallow Road !
- Oui d'accord, mais vous allez où?
"
Ces quelques minutes allaient effondrer sa confiance en sa maîtrise de l'anglais ; tout comme le dîner qui suit dans un restaurant : au serveur très poli, elle explique qu'elle veut du poulet et tapote ses bras, pour signifier qu'elle aime les ailes de poulet. A force de mots et de gestes, l'écrivain et le serveur s'énervent et ne se comprennent pas. "Je n'ai jamais eu aussi honte, en un seul instant je comprenais comme il était difficile à ces jeunes chinoises sans éducation qui arrivaient de la campagne. Elles ne savaient pas faire de shopping, ni prendre le bus ni utiliser les toilettes et j'étais devenue comme elle." Personne n'aurait deviné que l'écrivain était journaliste et professeur, simplement parce qu'elle ne savait rien faire dans cette société occidentale. Passés ces moments délicats, l'auteur de Baguettes chinoises (Philippe Picquier) saura s'épanouir et vivre en femme libre. L'éloignement de son pays va justement lui permettre d'écrire les récits des femmes qu'elle a écoutées, ce qu'elle n'aurait pu achever en Chine. 

Florence Brissieux

Publié dans Rencontres

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