Les héros des histoires belges, acte 1 : E. P. Jacobs

Publié le par Etonnants Voyageurs

Ce lundi, la matinée avait un accent belge au Théätre Chataubriand intitulée "de Blake et Mortimer à Bob Morane". Articulé en trois temps, le programme du thème proposait à 10h00 la projection du film de Francis Gillery (E. P. Jacobs : Blake ou Mortimer ?, Artline films, 2006, 52 minutes), suivie d'une discussion autour de la "ligne belge" animée par Jean-Luc Fromental à 11h00 et d'un nouvelle projection à 12h00 consacrée au père de Bob Morane (Henri Vernes un aventurier de l'imaginaire d'Erick Mogis et D. Carr Brown, 1998, 52 minutes). Une invitation à plonger sans retenue dans les mondes fantastiques de nos héros nés au plat pays...

Le documentaire consacré à Edgar Pierre Jacobs est riche d'informations pour les passionnés que nous sommes. Il regorge également d'anecdotes racontées par ses proches tel F. Rivière qui recueillit les propos de Jacobs et les publia dans un livre carnet d'entretien (Edgar P. Jacobs ou les entretiens du Bois des pauvres, éditions du Carabe, 2000). Considéré à raison comme un génie de la couleur en son temps, Jacobs était un auteur de "romans illustrés", comme il aimait les appeler, par opportunité plus que par vocation. Lui, l'amoureux du théâtre et de l'opéra avait trouvé dans l'illustration un moyen de travailler et donc de gagner un peu d'argent pour vivre. C'était également un moyen de ne pas se retrouver mobiliser durant la seconde guerre mondiale... A cette période les autorités allemandes interdisent la publication de bandes dessinées américaines, et Jacobs va écrire et dessiner Le rayon "U" pour faire face à la suppression des aventures de Flash Gordon. Il est remarqué par Hergé qui lui offre l'opportunité de travailler avec lui (on cite généralement Les 7 boules de cristal car c'est l'album où cette collaboration est le plus visible), puis d'être publié à son tour pour ses propres récits dans le Journal de Tintin. Rapidement, Le secret de l'espadon trouve son public et devient la partie la plus lue du journal, marquant la fin de la collaboration entre les deux hommes. L'ère Jacobs débute alors avec la suite que l'on connaît, 8 aventures en 12 albums dont le dernier sera achevé par son ami Bob de Moor et publié trois ans après son décès (Les trois formules du Professeur Sato tome 2 : Mortimer contre Mortimer, édition Blake et Mortimer, 1990).

Dans E.P. Jacobs : Blake ou mortimer ? Francis Gillery, le réalisateur, nous dévoile que Mortimer est en réalité dans la vie Van Melkebeke et Blake n'est autre que Laudry. Les deux hommes sont les amis d'enfance de Jacobs et lui ont servi de modèle pour ses héros. Mais ça, les fans le savent déjà... Ce que l'on sait moins, c'est ce que nous révèle la petite fille d'Henry Quittelier : c'est son grand-père, un "homme avec un nez aquilin" selon Jacobs, qui a servi de modèle pour le personnage d'Olrik. Et cet homme est celui qui lui a ravi son amour d'enfance, la belle Jeanne Faignart que Jacobs finira par épouser en secondes noces.

Jacobs a grandit dans l'occultisme du XIXe siècle. Ses "romans illustrés" gardent une trace de cette époque, on y ressent sans effort la volonté de nous faire palper une autre réalité, invisible, fantastique... L'oeuvre de Jacobs, très investie, lui ayant demandé énormément de travail de documentation, intègre aussi la notion de menace. Il croit, comme Jules Vernes, dans la capacité de l'homme à maîtriser toujours davantage de technologie. Cependant, Jacobs envisage lui le risque que cette technologie puisse être mise entre de mauvaises mains. Au sein d'une génération très marquée par la seconde guerre mondiale, pessimiste pour l'avenir, c'est par l'héroïsme des individus que Jacobs sauve le monde, relève Védrine.

A la fin de sa vie, alors qu'il vit reclus au Bois des pauvres, sa maison isolée près de Waterloo, Jacobs voit le film La guerre des étoiles. Lui qui adore La guerre des mondes est subjugué. Trop peut être. Il dira que sa science fiction à lui n'est rien à côté de cela, et ne finira pas Les 3 formules du Professeur Sato.

Jacobs est aujourd'hui universellement reconnu comme l'un des maîtres de la "ligne claire", et de la bande dessinée belge en général, aux côtés d'Hergé, Bob de Moor, Jacques Martin ou plus récemment Ted Benoît qui a d'ailleurs été le premier à reprendre la série en collaboration avec Van Hamme (L'affaire Francis Blake, Edition Blake et Mortimer, 1996). Jacobs n'aimait pas les catégories. D'ailleurs, il faut corriger une idée fausse qui veut que Jacobs serait l'initiateur de ce style graphique. La "ligne claire", en réalité, est issue de la scène underground hollandaise, et Jacobs n'a repris ce style que par obligation pour satisfaire des conditions d'édition.

Paul Vulcain

Publié dans Rencontres

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