Les héros des histoires belges, acte 2 : rencontre

Publié le par Etonnants Voyageurs

Voilà le film documentaire sur E. P. Jacobs qui s'achève et la lumière éclaire un public ravi de la projection. Jean-Luc Fromental et ses invités montent sur scène. Pierre Pelot (Les Croix en Feu, l’Atalante Jeunesse, mai 2008), Laurent Chollet (Mai 1968 : La révolte en images, Hors collection, 2007) et Jean-Pierre Dionnet (L’ange de miséricorde, Casterman 2007, rééd.) connu pour être le fondateur dans les années 1970 de la célèbre revue Métal Hurlant consacrée à la bande dessinée.

Au coeur de la rencontre, une question : "pourquoi est-ce la Belgique qui a le mieux incarné l'aventure anglaise ?", et particulièrement  auprès de la jeunesse française des années 1950 à écouter parler les invités ! Plusieurs raisons à cela, mais entre autres le phénomène des éditions Marabout, véritable révélateur de talents. Marabout sera la première maison d'édition à proposer en format poche et à prix attractif Dracula (Bram Stocker) et Frankenstein (Mary Sheilley), c'est dire ! Marabout, c'est aussi Bob Morane, héros d'une génération entière, autre enfant d'un père belge (Henry Vernes).

Pourquoi précisément l'Angleterre ? Les auteurs invités évoquent la réussite de l'Empire colonial anglais (sur lequel le soleil ne se couchait jamais) qui contraste avec les nombreux désastres de la colonisation belge... Pas suffisant. Une raison peut être plus évidente est que la Belgique est un pays très influencé par la culture britannique, au moins autant que par la culture française. Et au coeur des influences européennes, les artistes belges ont su conserver une certaine naïveté, en partie facteur de leur succès. C'est donc une liberté totale, sans carquant ni convenance, qui leur a permis d'évoluer de la sorte. Dionnet voue d'ailleurs une admiration sans borne à Maurice Tillieux, le créateur de Gilles Jourdan, qui est l'illustration même de ce propos.

Les personnages qui évoluent par deux chez Jacobs (Blake et Mortimer) comme chez Vernes (Morane et Balentine) sont aussi les vecteurs d'une amitié très forte, très fraternelle dans laquelle se projettent les lecteurs. "Qui n'a jamais fait de conneries avec son meilleur copain étant jeune ?" interroge Dionnet. Une plus large palette de caractères permet aussi une plus large identification du lecteur au héros. L'autre avantage indéniable est de permettre à l'auteur de se servir du dialogue dans son récit soulève Pelot. Enfin corrélation retenue par Chollet mais relevant cette fois simplement du hasard, la tentation de donner au mal la couleur jaune : la marque jaune dans Blake et Mortimer, l'ombre jaune dans les aventures de Bob Morane.

Le festival consacre cette année une exposition à Blake et Mortimer au travers des albums de la série réalisés par André Juillard (Dans les pas de Blake et Mortimer, salle Charcot au Palais du Grand Large). Elle présente entre autres des planches relatives au dernier volet de la saga (Le sanctuaire du Gondwana, Edition Blake et Mortimer, 2008). L'occasion pour Jean-Pierre Dionnet de faire remarquer, pince-sans-rire, que Juillard ne sait pas "dessiner un pli de pantalon" comme savait le faire Jacobs. Il faut dire que Julliard appartient malheureusement à une époque où les délais de production acceptables ne sont plus ceux que Jacobs imposait à son éditeur ! Puis Dionnet pique du côté de Sente, le scénariste qui accompagne Juillard sur la série : "c'est une aberration de voir une femme aventurière dans Blake et Mortimer". Dionnet affirme que Jacobs n'aurait jamais fait cela en son temps.
Mais remarquons tout de même que la censure à laquelle a été confronté Jacobs a éliminé la femme de la bande dessinée durant un certain temps. Et ce n'est pas forcément un choix de Jacobs qui, dans son tout premier album Le rayon "U", racontait l'histoire d'une expédition emmenée par un militaire, un scientifique, et... une femme !
Alors c'est peut-être d'une profonde justesse dont ont su faire preuve Juliiard et Sente finalement ?

Paul Vulcain

Publié dans Rencontres

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